Moi : Cyrille, peux-tu nous donner ton point de vue sur le reverse mentoring ?

Cyrille : Oui, même si, comme monsieur Jourdain, j’en ai fait sans le savoir. En fait, je ne dirais pas que j’ai fait du reverse mentoring, avec mes mots, je dirais que j’étais simplement à l’écoute de mon entreprise. Comme elle est constituée de gens jeunes et très en pointe sur les sujets de la performance.

Moi : Des collaborateurs de la génération Y…

Cyrille : Oui, si tu veux… Enfin, je ne veux pas dire que je fais partie des vieux dépassés mais il est vrai que la génération Y (j’aime bien quand il y a le mot génération dans le concept, finalement), ou les millenials pour parler comme les communicants, ont une aisance avec le numérique qui parfois me dépasse un peu. Moi, par exemple, les réseaux sociaux… J’ai même pas de Facebook… Alors c’est sûr quand vous m’avez proposé de monter un réseau social d’entreprise…

Moi : C’est pas ta culture.

Cyrille : On peut dire ça… Mais je m’y suis mis et je constate que ça marche, ça marche super bien. Avant, on avait une newsletter tous les trimestres et maintenant, dès que j’ai une nouvelle à communiquer, c’est fait en quelques secondes et tout le monde est au courant. En fait ça m’a permis de comprendre des choses fondamentales sur le rôle du chef d’entreprise. Quand j’ai créé Génération Conseil, je pensais que mon rôle était de savoir faire tout ce que faisaient mes salariés, mais mieux qu’eux. J’ai compris avec l’expérience que c’était une erreur.

Moi : Ça serait intéressant de développer ça dans une prochaine entrevue.

Cyrille : En effet… Toujours est-il que j’ai compris que mon rôle était plutôt de faire ressortir de chacun ce qu’il a de meilleur. Et de faire tenir tout ce meilleur ensemble. C’est un équilibre précaire, ça demande du temps, de la diplomatie, parfois de la fermeté, souvent du compromis mais quand on arrive au bon dosage, c’est génial. Et donc c’est en procédant comme ça que je me suis dit que le meilleur moyen de nous moderniser sur le plan technologique c’était d’être à l’écoute de ceux qui baignent dedans depuis toujours.

Moi : Et tu as un exemple de reverse mentoring efficace ?

Cyrille : Oui, le jour où un de mes jeunes collaborateurs est venu me voir avec un projet cloud CPM… On cherchait des axes de développement pour le cabinet et finalement, c’est venu d’un jeune consultant. Avec les collaborateurs du board stratégique, on s’interrogeait sur le pilotage de la performance. C’est un sujet qu’on connaît bien d’un point de vue fonctionnel mais on a tendance à penser ce sujet avec des outils de BI traditionnels, qui sont ceux qui nous sont familiers. Baptiste a demandé à faire une présentation sur le sujet et il nous a convaincus que les gros outils habituels n’étaient plus porteurs, qu’il fallait se diriger vers des outils innovants, des outils dans le cloud. C’est comme ça que nous avons signé un partenariat avec Adaptive Insights.

Moi : Tu n’aurais pas eu cette idée ?

Cyrille : Je ne pense pas… J’aurais plutôt orienté vers des outils Oracle ou SAP. Mais ce partenariat avec Adaptive Insights est beaucoup plus intéressant pour plusieurs raisons. La première, c’est qu’Adaptive est un leader au niveau mondial mais un outsider sur le marché français. Donc, nous nous sommes retrouvés sur ce positionnement d’outsider. Quand j’ai rencontré les partners américains, ils étaient bien conscients qu’avec nous ils allaient avoir accès à quelques grands comptes, quelques grandes références sur le marché français, mais que nous n’avons pas la force de frappe des gros cabinets de conseil. Leur stratégie et la nôtre, c’est d’agir en outsider et de compter sur la pertinence du produit et des consultants pour intégrer le marché. Nous sommes confiants dans nos forces : un produit ultra performant et des équipes super compétentes. Nous n’avons pas un grand nom connu qui nous permet de vendre sans effort. Nous ne pouvons nous reposer que sur notre efficacité. Et cette façon de voir les choses, je ne l’aurais pas perçue de cette façon sans les plus jeunes de notre cabinet, qui s’investissent à fond sur ce projet de partenariat.

Moi : C’est à dire ? Tu avais perdu ton esprit entrepreneurial ?

Cyrille : Non, mais après une mésaventure sur la conception de logiciel (mais c’est aussi une autre histoire), j’étais revenu sur les fondamentaux. Tout mon projet était de refaire la belle histoire de Génération Conseil sans refaire les erreurs… J’ai eu la chance que Génération Conseil, malgré la crise, survive à toutes les vicissitudes. J’avais à cœur de stabiliser la société. Du coup, se relancer sur un projet comme ça, sans savoir où on allait… C’était une bonne chose que ça soit un mouvement interne, profond. Mais toi tu as fait pareil finalement, quand tu as monté les ateliers autours de projets de communication.

Moi : Oui, c’est vrai, quand on a fait le premier groupe de travail pour repenser la communication du cabinet, j’ai invité tout le monde à participer. Moi, j’ai une culture classique, une culture de l’écrit mais au cours du brainstorming, les plus jeunes du cabinet ont tout de suite proposé de faire des vidéos. Ça ne me serait jamais venu. Pour moi, faire une vidéo, c’est compliqué, ça veut dire faire appel à une boîte qui va venir filmer, on va préparer un discours institutionnel hyper convenu, etc… Pour eux, c’est un Iphone et une perche à selfie et hop… Du coup, on a lancé ça. Esprit startup !

Cyrille : Exactement. Moi, j’ai pris sur moi et je me suis dit que si on ne prenait pas de risque, ça ne valait pas la peine. Et j’ai eu raison. Il faut écouter les idées de tous les collaborateurs qui veulent s’investir dans un projet. Après, le reverse mentoring, c’est encore mieux s’il n’est pas que reverse. L’équipe qui a travaillé au final sur le partenariat Adaptive a moins de 30 ans de moyenne d’âge. Mais j’ai pu aussi leur apporter mon expérience de créateur d’entreprise. Leur indiquer les pièges, là où les investissements sont inutiles et là où ils sont rapidement rentables. Bref, plus que du reverse mentoring, que pense que ça a été du « complementary learning »… Nous ne sommes pas des business angels et on ne peut pas se permettre d’investir à perte. Il faut que ces projets innovants soient du gagnant-gagnant, pour nous, pour le partenaire et pour le client qui doit s’y retrouver, sans quoi toute cette stratégie sera un échec.

C’est une belle conclusion, chacun apporte son expérience pour la réussite d’un projet. Quel que soit le statut qu’on a dans l’entreprise, finalement, on a tous des choses à apporter à la croissance et au développement des projets. Il suffit de savoir s’écouter. Les millenials doivent avoir voix au chapitre car en tant que natives digital ils sont dans un situation idéale pour « sentir » ce qui sera l’innovation clé pour les entreprises mais l’expérience de 15 années à la tête d’une société de conseil donne un recul et une « vista » qui permettent d’éviter les pièges de l' »investissement à l’enthousiasme ». Merci Cyrille pour cet entretien et à bientôt pour continuer à nous faire partager ton expérience de chef d’entreprise.

 

Caroline Combe